1959, histoire d’un nouveau club
HISTORIQUE – Nous sommes en 2024 et le Pau FC est toujours ce pour quoi il a été créé 65 ans plus tôt : être le club phare d’une ville où le football se développe dans l’ombre du rugby. Né de la scission d’un club devenu trop grand pour lui-même, voici comment le FC Pau est apparu dans le paysage palois d'après-guerre.
Origines du football palois
Pour bien comprendre le statut particuliers du club J&B, revenons aux premières heures du foot palois.
Bien que sous influence anglaise depuis le début du XIXe siècle, Pau devra attendre les années 1900 pour voir les premières sections football se créer dans les clubs omnisports de la ville.
C’est d’abord la Football Association Bourbaki qui voit le jour en 1904, dans le patronage du même nom. Si le nom du club sonne anglais, c’est un militaire bordelais du 18è RI (et joueur des Coqs rouges de Bordeaux) qui le premier importe le football à Pau.
Cinq ans plus tard, une deuxième équipe apparait à la Jeanne d'Arc le Béarn. Elle donnera au football palois une première impulsion et ses premières rivalités. Entre temps, en 1907, l’Union Jurançonnaise est créée au sud de la ville.
À l'inverse du reste de la France où les premiers clubs sont principalement issus du monde ouvrier et / ou sous influence britannique, le Sud-Ouest voit ses 1ers clubs de football émerger de patronage omnisports religieux. Un patronage est « une forme d'initiative d'une organisation laïque ou paroissiale, destinée à remplir une mission de service quasiment publique, car tendant à protéger ou à venir en aide à une cause réelle et tangible ayant des fondements à la fois moraux, économiques, sociaux et culturels » (source : Wikipédia).
À l'époque, la ville de Pau est divisée en deux paroisses : Bourbaki est issu de St Jacques, quand la JAB est rattaché à l’église St Martin. L’UJ a quant à elle une double identité avec la fusion de deux patronages : l’un laïc (St Joseph) et l’autre catholique (St Pierre).
Ces associations sont gérées par des abbés et elles ont avant tout des vocations éducatives et sociales. Par exemple les statuts des Bleuets de Notre-Dame précisent vouloir :
« Œuvrer pour le développement physique et moral des jeunes gens, par la pratique des sports et la création entre ses membres des liens d’amitié et de solidarité »
Juste avant la première guerre mondiale (1913), la ville de Pau en plein développement voit la création d’une nouvelle paroisse avec Notre-Dame de Pau. Au sortir du conflit qui laisse plus d'un million d'enfants orphelins, les patronages se multiplient partout en France et la troisième paroisse paloise fonde à son tour son patronage omnisports, nous sommes à l’automne 1920. Se voulant symbole de la reconstruction, son nom est choisi en hommage aux bleuets :
« Les premières fleurs à repousser après un bombardement sur les champs de bataille »
Nommé les Bleuets de Notre-Dame, cette association propose dès le départ une section football mais elle attendra 1935 pour s’engager dans les premières compétitions.
Source : Page Facebook des Bleuets de Notre-Dame de Pau
L’irrésistible ascension
Durant l’entre-deux-guerres, la FA Bourbaki règne en maître sur le football palois et ce jusqu’à la Libération. Mais en 1945, Albert Lille (ex gardien du FAB), est nommé vice-président de la section football des Bleuets et va œuvrer à son développement.
« Si vous n'avez pas tout donné, vous n'avez rien donné » — Albert Lille
Évoluant dans son stade du chemin de Buros depuis 1941, le 3è club palois se structure et va connaître une ascension fulgurante avec neuf montées en dix ans. Lors de la saison 1956-1957, Albert Lille délègue les fonctions d’entraîneur au hongrois Bela Herczeg (ex joueur de Montpellier, Alès ou Sochaux) qui arrive à Pau pour débuter sa carrière.
Au centre, le stade du chemin de Buros dans les années 1950 - Source : IGN
Herczeg va apporter la touche finale au développement du club, jusqu’au titre de champion de Division Honneur au printemps 1958, glaner au goal-average face à Mont de Marsan. C’est l’acte ultime de la prise de pouvoir des Bleuets sur le football palois et béarnais.
Vainqueurs de cette poule de la Ligue du Sud-Ouest qui compte aussi la FAB, l’Élan Béarnais ou l’UJ, les palois sont les premiers en Béarn et même dans les Pyrénées-Atlantiques à inscrire leurs noms au palmarès d’une ligue historiquement dominée par les clubs bordelais et le Stade Montois.
L’inévitable scission
Le club essentiellement composé de joueurs palois, se retrouve ainsi promu dans le groupe Sud Ouest du Championnat de France Amateur. Cette division compte cinq groupes (quatre de 12 équipes et un de 13) mais ne permet pas d’atteindre le football professionnel, le monde pro étant à l’époque, et jusqu’en 1970, une ligue fermée.
Pour sa première expérience au troisième niveau français, les Bleuets réalisent une très belle saison en terminant 6è d’une poule remportée par l’ESA Brive. L’épopée des joueurs de Notre-Dame suscite un fort engouement en ville et la réception du leader briviste attire même plus de monde que le derby Section - Aviron Bayonnais. En Coupe de France, les palois reçoivent les Girondins en 64è de finale et c’est 6000 personnes qui se massent au stade du chemin de Buros.
Ce match perdu 4-1 en prolongations jouera le rôle de déclic dans la suite du club et la future création du Football Club de Pau. Si le club veut encore grandir, il va devoir muter.
En atteignant les sommets amateurs à la fin de la saison 1957-1958, les Bleuets se retrouvent à la croisée des chemins : continuer à promouvoir la vocation éducative et sociale de son patronage et rester dans le giron amateur ou asseoir ses nouvelles ambitions en répondant aux besoins structurels nécessaires pour exister et se développer en CFA et tendre alors… vers le professionnalisme.
La dimension sportive prise par le club, l’oblige aussi à élargir sa base et le pousse à devenir le club d’une ville, voire d’une région, et non plus d’un unique patronage de quartier.
Au printemps 1959, un certain P. Bleusa (impossible de connaître son rôle exact chez les Bleuets) écrit une lettre ouverte en ce sens dans la République des Pyrénées :
« Parlons un peu de... Football
La saison de football 58-59 n'a plus que deux ou trois mois à courir. Et il semble d'ores et déjà qu'il faille utiliser ce laps de temps pour qu'à la recherche d'une idée on témoigne de beaucoup de réflexion.
L'avènement de ce qui sera bientôt une précédente saison avait été l'occasion en championnat de France Amateurs des Bleuets de Pau.
Cet exploit commençait à faire situer la ville de Pau comme lieu de spectacles du Ballon Rond.
Pendant quatre mois, le public vibra et fut conquis par la manière paloise.
Puis vint le fameux match des Girondins, match splendide mais combien dramatique !
Depuis, les Bleuets sont à la recherche de leur forme et nous, à la recherche de l'idée...
Il faut que dès aujourd'hui, ceux qui aiment le football et qui peuvent l'aider à vivre, préconisent des mesures rationnelles qui peuvent parfaitement se résoudre dans le cadre d'une association.
Étant entendu que les Bleuets sont C. F. A., nous considérons ces derniers qu'ils soient de Notre-Dame, de Saint-Jacques ou de Saint-Martin, comme l'élément représentatif du football palois.
Tout le monde doit admettre ce raisonnement au lieu de s'attacher à de mesquines histoires de clocher.
Ce faisant, une politique d'orientation réfléchie ne détruisant pas ce qui est acquis, doit s'instaurer, qui par-dessus les « racontars » de Patronages plébiscitera l'implantation solide du football à Pau.
Faire un choix, c'est au moins pour le rendre valable, mettre quelque chose en commun; c'est faire taire tous les préjugés qui ne servent qu’à la tradition et ont le mal de satisfaire encore des besoins psychologiques erronés.
Il existe à Pau et dans la proche région, une vingtaine de joueurs dignes du C. F. A. qu'il faut réunir dans une même équipe.
Que les dirigeants de Patronages comprennent l'intérêt de cette collaboration, de cette association à grande échelle et à long terme.
L'exemple a d'ailleurs déjà été donné par M. Jamboué, pionnier de l'USM Arudy, dont le fils pratique cette année en C. F. A. aux Bleuets.
C'est la première pierre à l'édifice…
S'il veut demeurer dans notre ville, le C. F. A. a fort besoin d'effectifs valables et jeunes, il a besoin d'être pécuniairement solide et moralement sain.
Il faut que ceux qui veulent aider les Bleuets et le football se constituent en un groupement autonome susceptible par son comportement de favoriser le plein développement de ce magnifique sport collectif.
Il reste six mois pour travailler efficacement pour prendre des contacts, pour stimuler à nouveau des volontés éteintes.
Il faut qu'à cette idée chacun mette du sien pour lui donner des jambes »
Cet appel est d’abord publié le 2 mars 1959 puis republié dix jours plus tard :
Lettre ouverte de P. Bleusa - Source : La République des Pyrénées
Mais dès le 17 du même mois, l’association des Bleuets réagit laconiquement dans la presse :
« L'Association des Bleuets de Notre-Dame tient à faire connaître que M. P. Beusa n'a reçu aucun mandat pour parler en son nom et que les mesures qu'il préconise ou les idées qu'il peut avancer en matière sportive, n'engagent que sa propre responsabilité. »
La fin de saison arrive et l’Évêché indique clairement à ses joueurs qu’il faudra choisir entre patronage et indemnités.
Le club est devenu trop grand pour lui-même et l'Évêché se met à la recherche de dirigeants capables de gérer un club de ce niveau. Malgré l'inévitable issue, le divorce se fera donc à l’amiable : un nouveau club est créé par le haut à partir de l’équipe séniors des Bleuets alors que les équipes de jeunes restent sous l’égide du patronage.
Le 14 mai 1959, une première brève annonce la création d’un nouveau club dans la République des Pyrénées. Il est alors nommé le FC Palois. Quelques jours plus tard, c’est le 19 mai 1959 qu’est officiellement fondé le Football Club de Pau par le jeune industriel José Bidegain.
Lors d’une conférence de presse tenue mi-août 1959, quelques jours avant la reprise du CFA, le bureau du tout nouveau FC Pau présente sa philosophie :
« Nous n'avons nullement l'intention de concurrencer qui que ce soit, bien au contraire; notre désir est de développer le foot au maximum en associant tous les efforts, car le foot dans notre région est un peu le parent pauvre »
Évoluant dans un premiers temps en Bleu et Blanc et conservant le slogan des Bleuets « Vaincre ou sourire », le nouveau club navigue entre plusieurs stades : du chemin de Buros à Bourbaki en passant par le Hameau.
Premier logo du FC Pau lors des saison 59/60 et 60/61
Bela Herczeg a suivi l'équipe séniors vers le FC Pau et il est resté à son poste d’entraîneur. Le club termine sa première saison en 7è position. L’année suivante est meilleure avec une 4è place finale grâce à des joueurs plus expérimentés, durant cette saison le club se stabilise en élisant domicile au stade du Hameau qu'il quittera en 1968 pour rejoindre son stade de l'Ousse des Bois.
À l'été 1961 lors de l'assemblée générale du club, deux listes s'affrontent pour l'élection du comité directeur. Celle menée par le joueur Pierre Lanusse l'emporte sur le docteur James Chambaud (qui deviendra président la saison suivante et pour 13 ans) par 34 voix contre 22. José Bidegain reste président mais le club change de ligne directrice avec entre autres l'adoption de ses couleurs Jaune & Bleu et d'un nouveau blason qui ne changera qu'à la marge jusqu’en 1991.
Logo du FC Pau à partir de l'été 1961
Autre version du logo, datant à priori des années 1980
Après ses deux premières saisons prometteuses, la suite sera plus compliquée pour le néo club palois. Durant trois saisons, les Jaune & Bleu s'accrochent au CFA en terminant 9è avant de resdecendre en Division Honneur à l'issue de la saison 1964/1965.
Deux décennies « noires » vont suivre uniquement ponctué d'un bref retour d'un an en CFA (1968/1969), il faudra attendre l'arrivée de Paul Escudé comme entraîneur pour que le FC Pau sorte du marasme et retrouve la 3è division française à l'été 1983. Un niveau dans lequel restera jusqu'à l'affaire Pitoun.
Devenu Pau FC, le club remonte rapidement et stagne à nouveau en 3è division avant de chuter en CFA à l'été 2008. Il arrivera finalement à repartir sur des bases plus saines et à connaître enfin le football professionnel 61 ans après sa création !
PS : J'ai écrit cet article à partir de mes connaissances, de ce que j'ai pu trouvé dans les archives de la République des Pyrénées ou encore de la fiche Wikipédia du club.
Cette synthèse du foot palois et de la naissance du FC Pau est forcément incomplète et potentiellement imprécise sur certains points. N'hésitez pas à me corriger ou compléter en m'écrivant sur contact@1959.football, je suis preneur de tous documents et informations complémentaires.
Écrit par Alexandre.
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